Un petit train de campagne sorti de l'oubli

En faisant un peu de ménage dans les vieux papiers de mon père je suis tombé sur une feuille de journal qui ne m'a pas laissé indifférent et je me fais un plaisir de partager cet article à mes yeux important.

Cet article figure dans les archives du journal "Le Courrier Picard" du 23 novembre 1993 page 18, article écrit par Carole LEGRIS mais tout le travail d'archive a été fait par l'ancien maire d’Oissy dans la Somme M. GARESSE

Histoire de ce train d'après les archives de M. GARESSE

Le tortillard sillonnait autrefois la campagne d'Amiens à Beaucamps-le-Vieux, puis Aumale. Une histoire pour laquelle M. Maire s'est pris de passion et qu'il a minutieusement recomposée.

Dans le petit bureau de sa résidence d’Oissy, M. le Maire feuillète l’épais dossier, fruit de plus de trois ans de travail consacré au défunt tortillard d’Amiens à Aumale. Son intérêt pour cette ligne de chemin de fer s’est déclaré après la visite à Amiens d’une exposition sur les « chemins de fer oubliés de la Somme ».
Les recherches alors entreprises ont porté sur la portion d’Amiens à Beaucamps-leVieux, avec le projet de rassembler suffisamment d’éléments pour nourrir la rédaction d’un article dans le bulletin municipal de la commune. Tant et si bien passionné par son sujet, M. le Maire a fini par remonter le fil de l’histoire du tortillard, exhumant de l’oubli les épisodes d’une existence commencée en 1886.
C’est le 22 juillet de cette année là, et après plusieurs études, que le projet d’une ligne Amiens-Beaucamps-leVieux est retenu. Une prolongation est envisagée vers le Vieux-Rouen-sur-Bresle afin de faire la jonction avec la ligne d’Abancourt, le Tréport puis jusqu’à Envermeu, près de Dieppe, ainsi en avait-il été décidé sur le papier. Mais la réalité fut toute autre et la ligne trouva son terminus à Aumale. Les travaux de prolongement jusqu’à Envermeu ont été acceptés en 1904 en même temps qu’une correspondance Abancourt-le Tréport.

De Saint-Roch à Beaucamps
Le tracé, long de plus de 47 kilomètres, était jalonné de 18 points d’arrêt, probablement implantés au fur et à mesure du fonctionnement de ce chemin de fer à voie étroite doté d’un matériel plus léger et plus adapté aux accidents de terrain. Des caractéristiques techniques qui en feront aussi un train peu coûteux à entretenir et lui ont valu l’appellation de " chemin de fer économique".
C’est dans l’euphorie de son inauguration que débute la carrière du train, au départ de la gare Saint-Roch à Amiens. La première halte mène les voyageurs entre Saveuse et Ferrières, avant de continuer dans la vallée normande pour s’arrêter ensuite à la station de Guignemicourt - Bovelles puis la voie monte en pente douce vers Bovelles, et fait un nouvel arrêt au lieu-dit "La grimpette". C’est là, précisemment de l’autre côté de la route, qu’un commerçant malin avait édifié un petit cabanon pour y vendre des boissons et de la nourriture.
A Fluy, une halte encore, et le train aborde la descente vers la mignonne vallée de Bougainville, s’engage sur le pont enjambant le chemin des Huguenots puis stoppe à la station de Bougainville - Floxicourt. Après la traversée du bois d’Oissy, le train s’élance à travers la gove et signale son passage sur la route C4 par un sonore coup de sifflet. Passé le bois de Campillame, c’est le lieu-dit la grimpette qui marque le prochain arrêt. De cet endroit, il ne reste qu’un vague tracé,qu’on devine au moment des labours.

Une nuit de repos
Après Oissy, la vallée du Landon ouvre le chemin jusqu'a Molliens-Vidame le terminus du dernier convoi en provenance d’Amiens, vers 20 h 30. C’est là que le train passe donc la nuit et fait le plein de charbon et d’eau. Le lendemain matin, le départ mène le convoi vers Beaucamps-le-Vieux, jusqu’à la station d’Hornoy-le-Bourg, Une halte de plus avant les kilomètres à travers la vàllée de Bezencourt, juste interrompus par un arrêt à Guibermesnil pour le réapprovisionnement en eau, et l’arrivée à la gare de LiomerBrocourt. Et c’est tout aussi sereinement que le convoi repartait vers son terminus d’alors, Beaucamps-le-Vieux, à travers le bois de Liomer puis le bois de Saint-Pierre.
La ligne d’intérêt local Amiens - Beaucamps-leVieux connaît son prolongment jusqu’à Aumale en 1901- 1902. Le tortillard poursuivait donc son chemin vers Beaucamps-le-Jeune, marquant une halte à Montmarquet-Blangiel pour filer ensuite vers la Normandie. Une fois passée la gare terminus d’Aumale, le tortillard de la Somme restait en dépôt à Fleuzy. Une nuit de repos qui s’achevait à cinq heures du matin, avec le départ d’un nouveau convoi.
Ainsi a cheminé le chemin de fer économique Amiens - Beaucamps-le-Vieux - Aumale jusqu’en 1947, date à laquelle l’exploitation fut stoppée. Trois ans plus tard, les ponts ont été démontés. Et c’est au cours de studieuses promenades que M. le Maire a pu enrichir l’historique de ce tortillard d’un état des lieux précis des vestiges des voies, gares et autres haltes.
Carole LEGRIS

Anectodes le long du rail

De l’histoire qu’il a tissé au long de trois années de recherches, M. le Maire a aussi tiré quelques anecdotes, petites tranches de la vie locale.
L’inauguration officielle de la ligne, en présence de moultes personnalités, se déroule le 16 juin 1891, donnant lieu à de grands témoignages de liesse à chaque station ou halte. A Bougainville, par exemple, les pompiers ont enfilé leur belle tenue et forment une haie d’honneur. Les jeunes filles, sagement sur le quai, arborent une élégante écharpe rose. Ici et là, les habitants saluent le nouveau moyen de locomotion à grand renfort de " Vive la République"».
La Marseillaise marque l’arrivée du tortillard à Beaucamps-le-Vieux. En cortège, les musiciens, les pompiers, les officiels et la population se rendent à la mairie où les attend un lunch. Dans la cour de l’école des garçons, les gâteaux et le champagne sont à foison. Ajournée exceptionnelle, décision spectaculaire et populaire le préfet annonce qu’il accorde un jour de congés aux enfants des écoles.
A la gare de Guignemicourt - Bovelles, une fausse manoeuvre occasionna le déraillement du tortillard et le licenciement du chef de station.
Après le bois d’Oissy, le train lançait son strident coup de sifflet et immanquablement le chien d’une dame des environs accouraient jusqu’au convoi et l’accompagnait jusqu’à l’arrêt de la "grimpette", en aboyant joyeusement.
La vie du train a aussi été marquée par des faits de guerre sanglants. Le 24juin 1944, les alliés mitraillent le convoi à hauteur d’Oissy. Bilan : vingt-deux morts parmi les voyageurs et de nombreux blessés. C’est encore pendant la seconde guerre que les Allemands avaient réalisé l’infrastructure d’un embranchement ferroviaire depuis Hornoy-le-Bourg desservant le terrain d’aviation de Thieulloy-l’Abbaye.

Faits divers et faits d’armes
A cette époque, le ravitaillement des populations civiles était très difficile et les habitants de la ville allaient régulièrement prospecter dans les villages à la recherche de nourriture. Ils prenaient le tortillard, se rendaient dans les fermes et revenaient bien souvent avec des victuailles. Parfois, dans le train du retour, de mauvais plaisantins lançaient une rumeur de fouille à l’arrivée en gare Saint-Roch. Les voyageurs se débarrassaient prestement de leurs colis par les portières, se jurant de retouner ensuite à pied récupérer leurs emplettes. Malheureusement, les auteurs de la rumeur passaient avant eux et trouvaient ainsi à se nourrir à bon compte.
Au printemps 1918, les autorités militaires alliées avaient fait construire une ligne partant de Feuquières dans l’Oise jusqu’à Ponthoile, Cette voie passait par Hornoy-le-Bourg et Oisemont et a permis le passage de plus de cent trains par jour pour soutenir la contre-offensive alliée. La ligne a stoppé son activité le 1er janvier 1919.
Deux faits divers sont attachés à la vie de la station de Camps-Lincheux. C’est là que la femme du chef de station a donné naissance à un garçon et qu’un voyageur de Molliens ayant traversé sans prendre garde a été écrasé par le train.
Un autre accident dramatique s’est produit après Beaucamps-le-Vieux, en 1938 un cultivateur qui revenait de son pré après avoir trait ses vaches n’a pas entendu le train et s’est engagé sur la voie à bord de sa voiture. L’homme n’a pas survécu à ce télescopage.

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